Thorgal, un viking hors du temps

2 décembre 2016,  par  William Blanc

 

Thorgal est le fruit d'une collaboration inédite sous l'égide du Journal de Tintin entre un scénariste belge, Jean Van Hamme, et un dessinateur polonais, Grzegorz Rosinski, à un moment où l'Europe est séparée entre deux blocs antagonistes, l'Ouest et l'Est.

Cette situation influence directement le choix des auteurs quant au thème de leur série. Afin d'éviter la censure régnant alors en Pologne, les deux auteurs conviennent dès 1976 de placer l'action de leur bande dessinée dans un temps ancien, celui des Vikings. Comme l'écrit d'ailleurs Grzegorz Rosinski dans une lettre à Jean Van Hamme datée du 14 octobre 1976 (visible dans l'excellent hors-série d'Historia consacré à Thorgal) "Merci de ne pas publier de sujets délicats".


Le passé pouvant lui-même être sujet à des récupérations politiques, l'univers de Thorgal tiendra plus d'un monde fantastique où se mélangent les époques, que d'une série ayant pour toile de fond le véritable Moyen âge, comme par exemple la bande dessinée Les Tours de Bois-Maury d'Hermann (dont nous avons parlé ici).

Cela se voit dès le premier épisode de Thorgal, La Magicienne trahie (1980) dans lequel apparaît le beau-père d'Ariciaa, le roi viking Gandalf-le-fou, dont le prénom n'est pas sans évoquer l'un des personnages les plus célèbres de la fantasy, Gandalf, le magicien créé par J.R.R. Tolkien.

 

Van Hamme Jean (scénario), Rosinski Grzegorz (dessins), La Galère noire, Le Lombard, 1984. Cette planche résume parfaitement comment les auteurs de Thorgal mélangent des éléments de diverses époques afin de créer une ambiance originale. La galère est directement inspirée des vaisseaux de la Rome antique, alors que le capitaine (à droite dans la bande centrale) est habillé comme un guerrier de Charlemagne. Le procédé n'est pas nouveau. On le retrouve déjà dans Prince Valiant d'Harold Foster.


 

 

Plus tard, c'est carrément la science-fiction qui s'invitera dans le cycle "viking" de Thorgal, lorsque l'on apprendra, dans L'Enfant des étoiles (1984), que le héros de Van Hamme et Rosinski vient en réalité du "peuple des étoiles", atlantes originaires de l'espace.

On retrouve là l'influence de tout un courant qui, suite à la publication de livres pseudo-scientifiques à succès comme Le Matin des magiciens (1960) de Jacques Bergier et Louis Pauwels, puis Présence des extra-terrestres (1968) d'Erich von Däniken, tend à expliquer, dans le sillage de la mythologie liée aux OVNI, que la Terre a été visitée dans le passé par des extraterrestres qui ont influencé le cours de l'histoire.

Cette "théorie des anciens astronautes" est ainsi déjà présente dans l'album de Tintin Vol 714 pour Sydney (1968) dans lequel Hergé rend hommage à Jacques Bergier.

 

Van Hamme Jean (scénario), Rosinski Grzegorz (dessins), Les Yeux de Tanatloc, Le Lombard, 1986.

 

En fait, Jean Van Hamme et Grzegorz Rosinski s'amusent à mélanger les références de la culture populaire et surtout les époques, comme dans les péplums italiens des années 1960.

C'est particulièrement notable dans La Galère noire (1982), quatrième album de la série dans lequel Thorgal est confronté aux troupes du royaume de Brek Zarith dont les navires et les habits rappellent à la fois les vaisseaux gréco-romains et les armures de l'empire carolingien.

Pareillement, Thorgal s'aventure dans une Amérique précolombienne imaginaire, dans le cycle du pays Qâ (1985-1988). Ce mélange d'époques permet de placer les aventures de Thorgal hors du temps, dans un passé irréel et d'éviter ainsi toutes références politiques. Mais il évoque également une fascination de plus en plus marquée pour un Moyen âge fantasmé qui traverse l'Europe depuis les années 1960 (mais aussi le Japon et les États-Unis) doutant de plus en plus de l'idéal de progrès en vogue depuis l'époque des Lumières.

 

Kriss de Valnor dessinée par Grzegorz Rosinski pour la couverture de l'album Digne d'une reine, Le Lombard, 2012.

 

Par la suite, la fantasy continue d'influencer Thorgal. Comment ne pas voir dans le personnage de Kriss de Valnor (qui apparaît pour la première fois dans ce qui est sans doute le meilleur album de la série, Les archers – 1985) à la fois une allusion à Tolkien (Valinor, c'est le pays des dieux et des elfes) mais aussi à la guerrière Red Sonja développée pour les éditions Marvel Comics à partir de 1973.

Comme l'héroïne vivant au temps de Conan le barbare (comic-book dont nous parlions ici), Kriss a adopté le métier des armes pour se venger de la brutalité des hommes, au point de menacer plusieurs fois Thorgal.

 

Dufaux Jean (scénario), Rosinski Grzegorz (dessins), Blackmore – Le Complainte des landes perdues, Dargaud, 1994.

 

L'attirance pour le médiéval fantastique se ressent par la suite dans toute l'œuvre de Grzegorz Rosinski, même après son départ de la Pologne suite à l'instauration de l'état d'urgence par le général Wojciech Jaruzelski en 1981.

On la retrouve dans une autre de ses œuvres majeures, La Complainte des landes perdues (scénario de Jean Dufaux) qu'il illustre entre 1993 et 1998.

 

Vous pouvez retrouver les oeuvres originales de Grzegorz Rosinski sur le site 2dgalleries.com à cette adresse.

William Blanc

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4 commentaires
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William Merci pour ce commentaire Ice !
21 déc. 2016 à 13:03
Ice Merci William, c'est un réel plaisir d'aborder sous votre angle de vue cette oeuvre mythique !
21 déc. 2016 à 12:55
William Merci Fazo pour ce sympathique commentaire :-D
8 déc. 2016 à 00:27
fazo Toujours aussi appréciable votre lecture ! MR. Blanc ; )
8 déc. 2016 à 00:24