Captain America : des origines mouvementées #2

21 avril 2016,  par  William Blanc

 

    L'extraordinaire succès de Captain America crée par Jack Kirby et Joe Simon dans le contexte de la lutte contre le nazisme (voir notre précédent article) connait après-guerre un long reflux, tout comme l'ensemble des autres super-héros. Captain America Comics cesse ainsi d'être publié en 1950 avant d'être relancé très brièvement en 1954 pour trois numéros, en pleine fièvre maccarthyste. De leur côté, Simon et Kirby, passés fin 1941 chez DC Comics, tentent au même moment de recréer un personnage similaire, Fighting American, qu'ils opposent non plus à des nazis, mais à des communistes. Mais, devant les excès de la "peur des rouges", les deux compères transforment vite leur comic-book en parodie, n'hésitant pas à dénoncer à demi-mot les dérives du sénateur McCarthy et de ses partisans.


    Il faut attendre 1964 et le retour de Jack Kirby chez Marvel pour que Captain America réapparaisse dans les comics. Les Vengeurs, dans The Avengers #4, mars 1964, retrouvent le corps de Steve Rogers (présumé mort) prisonnier des glaces depuis la Seconde Guerre mondiale.

Là encore, ce come-back doit beaucoup à l'actualité tragique qui secoue alors l'Amérique. Quelques mois plus tôt, John Fitzgerald Kennedy a été assassiné à Dallas. En s'appuyant sur des témoignages de l'époque, Sean Howe, auteur de l'excellent Marvel Comics, l'Histoire secrète, émet l'hypothèse que la résurrection du super-héros au bouclier est un moyen pour Stan Lee, maintenant aux manettes du scénario, et pour Jack Kirby, tous deux de sensibilité démocrate, de pallier au traumatisme de la mort du jeune président en offrant à leurs lecteurs un nouveau héros.

 

John Romita Sr., Captain America and the Falcon, #138. Le Vengeur au bouclier et le super-héros afro-américain partagent ensemble la vedette.


    Très vite, Captain America bénéficie de sa propre publication, Tales of Suspense, vite rebaptisé, pour son numéro 100, en Captain America dans lequel il est associé à la Panthère Noire, le premier super-héros africain créé en 1966. Puis, dans Captain America #117 (septembre 1969), c'est au tour du Faucon (Falcon), le premier vengeur masqué afro-américain, de devenir le compagnon d'armes de Steve Rogers. Sa popularité devient telle qu'à partir du numéro 134 (février 1971), le héros au bouclier partage la tête d'affiche avec son compère. Le titre du comic-book change ainsi pour devenir Captain America and the Falcon.

Cette arrivée massive de personnages noirs fait échos aux transformations de la société américaine et à la lutte des droits civiques des Afro-Américains qui deviennent, à la fin des années 1960, de plus en plus visibles dans la culture populaire américaine (pensons par exemple au lieutenant Uhura dans la série de science-fiction Star Trek, diffusée entre 1966 et 1969). Loin d'être un simple figurant, le Faucon évoque les luttes que mènent au début des années 1970 la jeunesse noire (au sein par exemple du Black Panther Party) au point parfois de s'opposer au héros au bouclier, comme c'est le cas dans Captain America #143 scénarisé par Gary Friedrich et dessiné par John Romita Sr.

 

Friedrich Gary (scénario), John Romita Sr. (dessins), Captain America and the Falcon, #143. Captain America confronté à la révolte des ghettos noirs. Le Faucon dit aux manifestants "Donnez-nous une heure pour vous prouver que vous vous agissez de la mauvaise manière. Et si nous échouons, je vous rejoindrai."


    Au début des années 1970, les États-Unis traversent une crise profonde avec la révolte des étudiants sur les campus (où Captain America intervient dans Captain America #120 pour contrer les éléments révolutionnaires et promouvoir une solution négociée entre les groupes estudiantins et les professeurs), la lutte contre la guerre du Vietnam et surtout l'affaire du Watergate mettant en cause le président Richard Nixon.

 

Au même moment, dans Captain America #171-175, Steve Englehart, alors au scénario, confronte le héros au bouclier à un vaste complot dont le chef, Number One, se trouve à la Maison Blanche (on remarque d'ailleurs qu'une intrigue similaire a été reprise dans dans la bande dessinée XIII de William Vance et de de Jean Van Hamme.). Confronté à cette découverte, qui évoque évidemment la démission forcée du président Nixon, Captain America décide d'abandonner son identité secrète et de devenir le super-héros Nomad, prenant un costume sans référence au drapeau américain et dont le nom évoque un homme sans racines.

 

Steve Rogers représente ainsi une partie de la population déboussolée, ayant perdu foi en un pays embourbé au Vietnam et dans les machinations de son gouvernement. Comme le dit la fin de Captain America #175 : "Cet homme maintenant est brisé. Comme des millions d'Américains, chacun à leur manière, il a vu sa confiance être bafouée."

 

Steve Englehart (scénario), Sal Buscema (dessins), Captain America and the Falcon, #175. Captain America découvre que le chef de la conspiration qui menaçait l'Amérique n'est autre que le président.


    Cette crise de confiance ne dure néanmoins que quelques numéros et le héros au bouclier reprend vite du service, notamment pour célébrer le bicentenaire de la révolution américaine en 1976, sans cesser pour autant d'interroger les défaillances et les dérives de Washington.

Un chemin critique qui nous mènera, la semaine prochaine, à évoquer la série, puis le film Captain America:Civil War.

 

 

Vous pouvez retrouver les oeuvres originales relatives à Captain America sur le site 2dgalleries.com à cette adresse.

 

Friedrich Gary (scénario), John Romita Sr. (dessins), Captain America and the Falcon, #143. Captain America se fait son entrée dans les années 1970 avec un première page en citant l'une des chansons les plus engagées de John Lennon, sortie la même année en single. Une magnifique splash page

 

William Blanc

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3 commentaires
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William Merci pour ces commentaires Duchateau et Harrison5 ;-)
25 janv. 2017 à 16:32
Duchateau Autant je n'ai jamais trop été attiré par ce heros trop boy-scout pour moi, autant cet article avec la mise dans le contexte m'emballe. On a l'impression de lire une psychanalyse de l' état d'esprit des americains. Merci.
28 avr. 2016 à 09:05
Harrison5 Tres bel article de nouveau, merci !
21 avr. 2016 à 18:16